Il est désormais clair que faire cohabiter les soins infirmiers et la pratique commerciale constitue un dangereux mélange des genres ainsi que vient de le rappeler la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre Infirmier en radiant définitivement un infirmier parisien le 12 septembre dernier. Une jurisprudence qui pourrait s’appliquer aux très gros cabinets infirmiers qui abusent de la méconnaissance du Code de Déontologie par les jeunes installés. Explications.
Deux récents articles d’Actusoins et d’EspaceInfirmier relatent la condamnation d’un infirmier parisien à la radiation du Tableau sur la base de l’article R. 4312-76 du Code de la santé publique qui stipule : « La profession d’infirmier ne doit pas être pratiquée comme un commerce». Concrètement, il ne pourra plus jamais exercer en libéral ou à l’hôpital.
Cet infirmier avait réussi à faire signer à près de 80 IDEL des contrats de collaboration au sein de ses deux cabinets infirmiers parisiens.
Chaque collaborateur s’engageait alors à lui verser une « redevance » mensuelle fixe de 700 euros TTC (un des rares cabinets en France assujetti à la Taxe sur la Valeur Ajoutée – TVA, habituellement réservée aux commerçants.). Cette « redevance » étant versée autant de fois qu’il y avait de collaborateurs : la décision du Conseil National de l’Ordre reprise dans Actusoins parle même d’un chiffre d’affaires tiré des « redevances » de l’ordre de 420 000 € annuels. Le cabinet existait depuis plus de 10 ans et avait mis en place un système de binômes sur tous les arrondissements et certaines villes de banlieue parisienne.
Le souci, c’est que comme le rappelle l’Ordre Infirmier, ces redevances sont considérées comme très excessives par rapport aux charges réelles du cabinet et sont donc considérées comme un partage d’honoraires au bénéfice du gérant, ce qui est interdit par le code de déontologie des infirmiers.
Ce chiffre d’affaires important lui permettait d’acheter de la publicité sur Internet (Google AdsWords) et ainsi d’adresser, de manière illégale, de nouveaux patients à ses « pseudos salariés ». Il avait d’ailleurs déjà été sanctionné sur ce point suite à une plainte d’un collectif infirmier parisien mené par des élus FNI d’Ile-de-France. Ainsi que des courriers recommandés envoyés par les élus de CPD de la CPAM 75 l’avertissant que ces méthodes publicitaires étaient également interdites par la Convention. D’autres plaintes avaient aussi été déposées par des collectifs infirmiers, notamment dans le département 95 où il avait commencé à déployer un système de franchise.
Cet infirmier déploie par ailleurs également une application permettant de distribuer des soins infirmiers contre un abonnement mensuel de 59 € / mois.
D’autres cabinets, notamment dans les grandes villes, reproduisent ce fonctionnement et sont susceptibles d’être sanctionnés sur la base de cette jurisprudence : si vous êtes collaboratrice ou collaborateur au sein de ce type de cabinet et que vous estimez être lésés, contactez vos représentants FNI locaux ou le service juridique de la FNI.
En conclusion, il nous semble important que le Conseil National de l’Ordre impose une limite au nombre de collaborateurs avec lesquels un titulaire peut travailler, comme c’est déjà le cas pour les médecins par exemple, sous peine que de graves dérives de ce type continuent.
Saluons ici le courage de la collaboratrice de ce cabinet qui a osé se saisir d’une plainte désintéressée, dont le dénouement a pris près de quatre ans pour défendre les intérêts de notre profession au-delà de sa propre situation.
La FNI rappelle également qu’elle demande depuis plusieurs années une obligation de formation pour les nouveaux installés pour éviter que ce type de dérives ne se développent au détriment de jeunes IDE quittant l’hôpital. Ce cabinet n’hésitait d’ailleurs pas à recruter de nouveaux collaborateurs en diffusant des petites annonces de recrutement à l’année sur de nombreux sites annonçant jusqu’à 4 500 € par mois.
Apparemment, l’affaire ne semble pas totalement terminée car l’infirmier en question, par ailleurs étudiant en médecine en internat, a déclaré souhaiter déposer un recours devant le Conseil d’État.